Jeudi à 22h45 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, le documentaire inédit Papa, t’étais où en Algérie ? lève le voile sur un pan douloureux et trop souvent passé sous silence de l’histoire française : celle des appelés du contingent envoyés en Algérie entre 1954 et 1962, et de leur retour, marqué par le silence et l’oubli. À travers la trajectoire intime de la famille Aymé, originaire des Deux-Sèvres, ce film poignant mêle mémoire familiale et regard historique pour interroger le poids des non-dits dans la transmission intergénérationnelle. Un travail sensible et nécessaire, réalisé par le fils d’un des anciens soldats, qui cherche à comprendre ce que son père, Marcel, n’a jamais voulu raconter.
Une fratrie au destin chamboulé par une guerre lointaine
Le récit s’ouvre sur le Logis, une ferme des Deux-Sèvres où grandissent onze enfants. En 1949, leur père, Lucien, meurt brutalement, laissant sa veuve Rosa, une immigrée croate, seule avec ses enfants. Les aînés, Marcel et Michel, n’ont que 14 et 13 ans lorsqu’ils reprennent les rênes de l’exploitation familiale. Mais en 1956, la guerre d’Algérie bouleverse une fois de plus leur destin. Bien qu’ils soient des soutiens indispensables à la famille, Marcel, Michel, puis Auguste et Yvon sont appelés sous les drapeaux. Ils ont à peine 21 ans, certains sont déjà mariés ou fiancés, et tous doivent abandonner leur terre, leurs proches et leurs responsabilités pour une guerre qu’on ne nomme pas encore. Le documentaire retrace ce moment clé avec une délicatesse rare, montrant comment la grande Histoire s’infiltre dans la vie de ceux qu’elle bouleverse, sans prévenir.
Une guerre sans mots, une génération figée dans le silence
À leur retour, les quatre frères Aymé ne parlent pas. Ni à leurs mères, ni à leurs épouses, ni à leurs enfants. La guerre d’Algérie, qualifiée à l’époque d’« opération de pacification », reste un tabou, une plaie que l’on préfère enfouir plutôt que d’affronter. Ce silence s’installe dans la famille comme dans des milliers d’autres à travers la France. Le film interroge ce mutisme, ce besoin vital de taire ce qui fut vécu là-bas, entre violence, perte de repères, sentiment d’abandon et culpabilité. Le documentaire devient alors un geste de mémoire, une tentative de réparation pour ceux qui n’ont pas eu les mots. Le réalisateur, fils de Marcel, décédé, mène cette quête avec pudeur, à travers des archives, des témoignages, et des silences aussi parlants que des aveux.
Une transmission par l’image, pour rendre audible l’indicible
Au-delà du récit familial, Papa, t’étais où en Algérie ? explore les mécanismes de la mémoire collective française autour de cette guerre encore mal digérée. Quelle place occupe-t-elle dans les récits nationaux ? Pourquoi tant de familles ont-elles préféré l’oubli ? Le film ne prétend pas répondre à tout, mais il ouvre une brèche, une voie pour redonner une voix à ceux qui se sont tus. Par la force des images, par l’intensité des témoignages et la sincérité de la démarche, le documentaire devient un outil de transmission et un miroir tendu à une nation qui peine encore à affronter cette partie de son histoire. C’est aussi une déclaration d’amour d’un fils à son père, une tentative d’entendre, enfin, ce qu’il n’a jamais pu dire.