Jeudi à 22h45 sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté, un documentaire poignant exhume le lourd passé toxique de Montchanin, ville frappée par un silence pesant et des déchets bien trop enfouis.
Une mémoire polluée, un silence collectif
Avec Enfouis, la décharge et moi, Sophie Chevalier livre un documentaire aussi personnel que politique. La réalisatrice revient sur un lieu de son enfance, Montchanin, où, à la fin des années 1970, une décharge de déchets toxiques s’est discrètement installée au cœur même de la commune. Elle n’avait alors que quelques années, mais le souvenir des odeurs pestilentielles, des camions incessants, et d’un malaise diffus dans la ville est resté vivace. Aujourd’hui, adulte, elle retourne sur les lieux pour comprendre ce que les habitants savaient, ce qu’on leur a caché, et surtout pourquoi si peu en parlent encore.
Montchanin, petite ville ouvrière de Saône-et-Loire, a été le théâtre d’une pollution sans précédent en France. À partir de 1978, plus de 8 000 tonnes de déchets — dont certains de nature hautement toxique — ont été enfouis à proximité des habitations. À l’époque, les autorités parlent de traitement contrôlé. La réalité, elle, est bien plus floue. Dans le film, Chevalier confronte les silences, les oublis, les tabous. Elle interroge sa propre famille, les voisins, les anciens, mais se heurte régulièrement à une forme de déni, d’amnésie collective. Le documentaire devient alors une enquête intime autant qu’un cri d’alerte sur notre rapport aux déchets et aux mémoires enterrées.
Une enquête sur fond de toxicité invisible
Ce qui choque dans ce documentaire, c’est moins l’horreur visible que le poison diffus, insidieux. Les déchets ont disparu sous terre, la colline a verdi, une grille l’entoure désormais, et bientôt une centrale photovoltaïque s’y installera. Tout semble rentrer dans l’ordre. Et pourtant. Les statistiques, comme celle évoquée par Thierry Ardisson dans une émission des années 1990 — « À Montchanin, on meurt presque deux fois plus qu’ailleurs » — laissent planer un doute glaçant.
Sophie Chevalier tente de relier les points entre les souvenirs personnels, les archives, les témoignages fragmentaires. Pourquoi cette décharge a-t-elle été placée ici ? Quelles substances y ont été réellement déposées ? Quels liens peut-on établir entre les pathologies observées chez les habitants et l’exposition à ces déchets ? Autant de questions sans réponses définitives, mais qui brossent un tableau effrayant : celui d’une France des années 1980 où l’environnement passait bien après l’économie, et où les populations les plus modestes servaient trop souvent de variable d’ajustement.
Montchanin, ou comment enterrer la vérité
À travers ce retour sur ses terres natales, la réalisatrice interroge aussi notre capacité à affronter les erreurs du passé. Car le silence qui entoure encore aujourd’hui cette affaire n’est pas anodin. Il traduit une peur, mais aussi une gêne collective : celle d’avoir peut-être fermé les yeux. À Montchanin, tout le monde ou presque connaît l’histoire, mais peu veulent en parler. C’est ce que montre le film, sans jugement mais avec une détermination tranquille. Il ne s’agit pas d’accuser, mais de comprendre. De mettre au jour ce qui a été volontairement oublié.
En cette époque de crise climatique et de défiance envers les institutions, Enfouis, la décharge et moi agit comme un révélateur. Il rappelle que les grandes catastrophes ne sont pas toujours spectaculaires. Qu’elles peuvent se dérouler dans l’indifférence générale, jusqu’à devenir un simple monticule dans le paysage. Mais un monticule qui continue de parler, pour peu qu’on accepte de l’écouter.